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Photo du rédacteurBenjamin Aim

La violence en nous : entre nerfs et neurones



Ah, l’être humain, cette créature si évoluée, capable de composer des symphonies, de bâtir des gratte-ciel, d'envoyer des robots sur Mars, de créer l'IA… et de se disputer pour une place de parking. Pourquoi sommes-nous si prompts à nous emporter ? Si la violence et la domination sont des traits largement partagés universellement, nous avons su évolué pour les gérer grâce à quelque chose de bien plus sophistiqué : l’intelligence. Essayons d'y voir plus clair, de trouver quelques pistes, et de faire des liens avec la sexualité - parce que je suis aussi sexologue ! -.


Agressivité ou violence

Nos cerveaux sont des merveilles de la nature, mais parfois, ils sont plus proches d’un volcan prêt à entrer en éruption. Notre ami l’amygdale est un petit noyau de neurones qui joue le rôle de garde du corps émotionnel. Il nous propulse en mode "fight or flight" (lutte ou fuite) dès qu’il perçoit une menace. Mais, problème : il ne fait pas toujours la différence entre une vraie urgence (comme un lion affamé) et une contrariété mineure (comme une file d'attente trop longue au supermarché). Ajoutez à cela une dose de testostérone, quelques frustrations quotidiennes, et hop, vous avez la recette parfaite pour une petite escalade...


Imaginez l'agressivité comme une sorte de superpouvoir animal intégré dans notre ADN. Elle est là pour nous défendre contre les dangers, comme quand vous sentez monter un frisson de rage après avoir marché sur un Lego à 2 heures du matin.


L’agressivité, c’est cette petite étincelle qui vous pousse à protéger votre espace vital, à vouloir gagner cette partie de Monopoly, ou à protester quand on se met encore devant vous dans votre file d'attente !


La violence, en revanche, c’est une voie que prend l'agressivité pour prendre le dessus physiquement ou psychologiquement sur l'autre. Elle n’est pas simplement une réaction naturelle à un stimulus, mais souvent alimentée par des facteurs sociaux, culturels, grégaires… comme une vieille tendance humaine à vouloir montrer qui est le chef !


Boris Cyrulnik et Steven Pinker semblent s'accorder pour dire que l’agressivité peut se transformer en violence lorsque les conditions sociales et émotionnelles exacerbent ce comportement. Selon eux, elle prend souvent sa source dans de la souffrance et les traumatismes, souvent même avant la naissance, alors qu'on ressent ce que notre mère ressent dans son ventre. Par ailleurs, il peut aussi être un comportement imité puis renforcé au fil d'expériences par l’idée qu’elle fonctionne.


Quand on se sent rejeté, dévalorisé, opprimé, humilié ou simplement frustré, il peut être tentant de compenser par des comportements dominateurs, qui dégénèrent parfois en violence. Le cerveau nous pousse à défendre notre "territoire" ou notre statut social, mais il se trompe souvent de méthode.


La domination : un mal nécessaire ou une tendance ancrée ?


La domination quant à elle n'est pas une question de méchanceté et de gentillesse : c'est un instinct naturel qui choisit pour survivre de faire face à une concurrence voire une hostilité dans le but d'obtenir quelque chose. Face aux nombreux dangers extérieurs (animaux prédateurs, éléments naturels, autres humains hostiles) qui le guettent, l'humain prend les mesures qui s'imposent, alliant souvent force et intelligence.


Il suffit d'observer des primates : chez eux, comme chez nous, il existe une hiérarchie sociale qui détermine les rôles et les relations au sein du groupe. Cette tendance à la domination peut, dans certaines circonstances, assurer la cohésion d’un groupe, la protection de ses membres, ou encore le bon déroulement des activités sociales. Cela peut même aider à stabiliser les relations en fixant des "règles" implicites sur qui détient le pouvoir. Mais, même chez les primates, l'autorité d'un chef peut être contestée voire renversée, par des stratagèmes individuels ou collectifs.


En outre, Mario Vargas Llosa souligne que la domination ne se limite pas à la force physique ou à l'emprise psychologique, mais prend également des formes plus subtiles comme la manipulation culturelle et médiatique. Nos sociétés modernes continuent de produire ou reproduire des structures de pouvoir basées sur la domination, mais celles-ci évoluent. Cette tendance humaine déjà innée à vouloir tout contrôler ou se hisser au sommet est souvent encouragée par notre environnement social et culturel.


Cependant, ces tendances à la domination est irrémédiablement vouée à n'être que passagère, puisque le temps finit toujours par affaiblir n'importe qui et n'importe quoi.


La force : une valeur supplantée par l’intelligence

Historiquement, la force physique a longtemps été le critère principal de pouvoir. Mais au fil du temps, l’intelligence a commencé à prendre le dessus. Le développement de plusieurs civilisations doivent leur avènement à la valorisation du savoir, de la créativité et de la pensée critique, supplantant peu à peu la simple force militaire comme moyen d'influence.


Michel Serres montre comment l'évolution des sociétés occidentales vers la modernité a fait passer la force physique au second plan, laissant la place à la ruse, à la diplomatie et à l’intelligence collective.


Malek Chebel affirme que la domination tend à s’estomper avec l’éducation et l’ouverture aux idéaux modernes d’égalité et de respect mutuel. L’expérience des sociétés humaines tend à prouver que la prospérité, d'un point de vue social, et le bonheur, d'un point de vue individuel, ont plus de chance de se développer sur le long terme si elles s’appuient sur l'intelligence et la coopération plutôt que sur la domination et l'ignorance.


Dans les sociétés asiatiques, Confucius prônait déjà, il y a 2500 ans, l’importance de la vertu et de la sagesse dans la gestion des affaires humaines, plutôt que la simple force ou la coercition. Selon le texte confucéen Les Entretiens, "un homme noble favorise la vertu, un homme vil favorise la force."



La fausse illusion de l’efficacité de la domination à court terme

Aussi bien sur les plans collectifs qu'individuels, si la domination semble parfois offrir des résultats plus efficaces, notamment par la force et l'imposition du pouvoir, il ne s'agit que d'une illusion d'efficacité à court terme. En réalité, ce type de gestion basée sur la peur et la contrainte finit par engendrer des résistances, des conflits et une instabilité à long terme.


Les régimes autoritaires, par exemple, peuvent maintenir le contrôle par la violence, mais ces sociétés sont souvent confrontées à des révoltes ou à des effondrements rapides dès que la force faiblit. Un mari violent peut contrôler sa femme, que ce soit physiquement, psychologiquement, financièrement ou sexuellement. Mais ce pouvoir imposé n'est que provisoire, faisant face à l'instinct de survie d'en face, prêt à se libérer dès que la bonne occasion se présentera.


L’intelligence et la coopération, à l'inverse, permettent de créer des structures sociales plus résilientes et durables. Robert Axelrod démontre à travers des expériences en théorie des jeux que la coopération, même entre adversaires potentiels, est plus stable à long terme. En favorisant le dialogue, la négociation et l'empathie, les sociétés parviennent à surmonter les conflits et à construire des relations basées sur la confiance mutuelle.



L'historien Yuval Noah Harari note également que les civilisations qui ont prospéré sur le long terme ne l'ont pas fait uniquement grâce à la domination physique, mais grâce à leur capacité à créer des réseaux sociaux complexes, fondés sur des règles, des croyances partagées et la coopération.


Et la sexualité dans tout cela ?

La relation entre sexe et domination est aussi ancrée dans l’histoire humaine que nos sociétés elles-mêmes ; elle est complexe.


D'un point de vue collectif, pour garantir une cohésion de groupe, chacune des sociétés humaines - d'abord homogènes - se sont toutes dotées de lois et coutumes pour encadrer les pulsions individuelles, qui pouvaient en tout temps risquer de la menacer. Certaines lois et coutumes ont inévitablement concerné et contrôlé l'expression de la sexualité.


Au sein même de ces sociétés archaïques, des cycles de répressions et de libération se sont succédés, jusqu'à la révolution du XVIIIème siècle en Europe, où l'avènement des philosophes des Lumières ont permis de déconstruire les structures humaines, de les questionner puis d'en libérer l'individu. Et l'on ne put - au grand désarroi des uns, au grand bonheur des autres - remettre le dentifrice dans le tube.


Ce n'est que très récemment (à l'échelle humaine) au XXème siècle en Europe, que la contraception permit de découpler sexualité et reproduction. Avant cela donc, le plaisir n'était que fortuit, lui-même probablement plus utile à encourager cette même reproduction. Au départ, l'objectif était simplement d'éviter des grossesses non désirées. Les femmes ont ainsi pu prendre le contrôle sur leur corps. Ce fut la première révolution du consentement.


Depuis, à certains endroits sur la planète, une révolution imprévisible eut lieu : le plaisir génital a pris de l'ampleur. L'éducation a joué son rôle grandissant et les valeurs ont évolué.


Et, si la sexualité continue d'être un lieu où la domination peut s'exercer, elle s'est équilibrée au fil du temps car il est aujourd'hui plus facile et possible de faire valoir sa valeur par d'autres voies et moyens. Mais, comme le dit l'adage populaire : chassez le naturel et il revient au galop ! Il faut donc savoir que notre nature ne nous pousse pas instinctivement à nous retenir !



Enfin, même dans certaines relations où la domination est érotisée, elle est souvent consentie, scénarisée et - au final - contrôlée par le dominé (mais c’est un tout autre débat !). En effet, certains humains et humaines ont appris à érotiser la violence (probablement malgré eux) !


Quelques pistes pour un monde plus calme

Maintenant qu’on a fait un tour rapide de la problématique, comment canaliser nos instincts agressifs et éviter de céder à des comportements violents ou dominateurs ? Voici quelques idées :


1. Apprendre à gérer ses émotions Plutôt que de laisser l’agressivité se transformer en violence, il est possible de la canaliser. Apprendre à respirer et à communiquer avant d’exploser, c’est déjà un bon début. La résilience montre que la guérison des traumatismes peut permettre de transformer l'agressivité en force positive de réalisation et de réussite. Les exemples sont à foison, notamment face aux athlètes des jeux olympiques et paralympiques.


2. Promouvoir la coopération plutôt que la domination De plus en plus de recherches tendant à prouver que les sociétés qui valorisent la coopération sont plus prospères sur le long terme. Sur le plan individuel aussi, si la hiérarchie et le contrôle font partie de notre nature, il est crucial de ne pas les laisser diriger nos vies... et de dominer ces penchants naturels. Plutôt que de chercher à toujours avoir le dernier mot, essayez de faire un pas vers ceux qui pensent et agissent différemment. Non seulement ça évite les conflits, mais en plus, c’est bon pour les relations humaines.


3. Concilier solidarité et liberté

Beaucoup de violence peut provenir de frustrations nées d’injustices, ou encore, de l'efficacité illusoire des modèles basés sur les hiérarchie et la domination. Même si cela ne tarit pas complètement l'insatiabilité humaine, investir dans l’éducation, l’accès équitable aux ressources et la justice sociale permet de calmer le jeu et de réduire les raisons des réflexes de protection déclenchant l'agressivité. Il faut aussi garantir un espace de liberté et de tranquillité pour chacun en évitant de compliquer encore davantage nos vies.


4. Soutien amical ou professionnel

Un autre besoin humain fondamental est de vouloir être accepté et compris. C'est pour cela que tous les professionnels de la relation d'aide jouent un rôle pour que chaque personne ait un temps privilégié pour réfléchir sur sa condition et ses besoins. De plus, si certains comportements violents sont le résultat de troubles ou de traumatismes, il est essentiel de mettre en place un soutien adapté.



De la force à l’intelligence

La domination et l’agressivité font partie de notre héritage. Mais nous avons aussi la capacité de réfléchir, d'éviter de vieux réflexes et de faire des choix conscients. Et, en cultivant des comportements basés sur le respect mutuel et la coopération, nous pouvons transcender nos instincts destructeurs et faire l'expérience que les relations humaines peuvent être un facteur de développement, de réalisation de soi et d'épanouissement. Alors, la prochaine fois que vous sentez la pression monter, souvenez-vous de respirer un bon coup afin d'y voir plus clair et de choisir une solution plus appropriée.



Sources :

  1. Cyrulnik, B. (2001). Les Vilains Petits Canards. Odile Jacob.

  2. Pinker, S. (2011). The Better Angels of Our Nature: Why Violence Has Declined. Viking.

  3. Vargas Llosa, M. (2012). *La Civilización del Espect

  4. Chebel, M. (2002). L’Esprit de sérail. Perrin.

  5. Serres, M. (1991). Le Tiers-Instruit. Gallimard.

  6. Axelrod, R. (1984). The Evolution of Cooperation. Basic Books.

  7. Harari, Y. N. (2014). Sapiens: A Brief History of Humankind. Harper.

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